L'arbre est omniprésent dans l'univers chinois. Arbre cosmique, arbre de vie, arbre de jardin, arbre des lettrés..
Racines, troncs, brindilles, il peut être sinogramme ou point d'acupuncture, figure métaphorique de l'homme, il est essentiel à sa survie.
Dans le Livre des Rites Liji (礼经,) les sages édictaient déjà des règles pour protéger les arbres
L'arbre cosmique
En Chine, l’arbre cosmique ou axe du monde, qualifié de jianmu 建 木, se dresse au centre du monde et possède neuf branches et neuf racines, par lesquelles il rejoint les neuf cieux en haut et les neuf sources en bas, séjour des morts.
Ce jianmu " arbre dressé" au centre de l’univers, réunit le ciel (yang) et la terre (yin).
Dans la légende chinoise, Jianmu est un arbre utilisé comme échelle lorsque les dieux montaient au ciel , reliant les cieux et le monde des mortels. On dit qu'il a été crée par
l' Empereur Jaune.
L’arbre comme axe du monde ne se rapporte à aucune essence particulière puisqu’il est une image du Dao, de l’ordre cosmique ou du principe universel : étant au centre, c’est dans son unité que se résorbent tous les contrastes, toutes les alternances et tous les attributs
En astrologie chinoise on retrouve la notion essentielle des "Troncs Célestes" 天干 tiān gān et des "Branches Terrestres" 地支 (Dizhi).
"Le calendrier traditionnel chinois est la combinaison d'un tronc et d'une branche, l'accouplement d'un indice solaire et d'un indice lunaire. En juxtaposant six fois les Dix Troncs et cinq fois les Douze Branches, on obtient un cycle de soixante combinaisons. La mise en place de ce cycle sexagésimal, invariable, va servir à désigner les années, les mois, les jours et les heures"
"Respecter les arbres, c'est respecter la vie"
Dans le Livre des Rites Liji (礼经,) les sages édictent déjà des règles pour protéger les arbres :
"Premier mois du Printemps … Il est fait défense d'abattre des arbres. Qu'on ne renverse pas les nids. Qu'on ne détruise pas les petits animaux, les fœtus, les nouveaux nés, les oiseaux au sortir du nid, ni les faons, ni les œufs…"
"Second mois de Printemps …qu'on protège les bourgeons et les pousses, qu'on nourrisse les petits animaux…"
"Premier mois d'Eté… que rien ne soit dégradé ni ruiné, qu'on n'abatte pas de grands arbres…"
"Second mois d'Eté…qu'on protège la forêt, qu'on ne fasse pas de feux dans les endroits exposés au sud »
« Troisième mois d'Eté…En ce mois les arbres prospèrent : il est ordonné aux inspecteurs d'aller à la montagne et de veiller à ce que les arbres ne soient ni taillés ni abattus".
Il est ajouté "Respecter les arbres, c'est respecter la vie".
L'arbre, le grand ancêtre
Par sa longévité dépassant celle des hommes, l'arbre est considéré comme le grand ancêtre. Les arbres âgés de plus de mille ans sont alors assimilés à des arbres de vie.
On en trouve aujourd'hui, l'évocation sous formes de sculptures, portant des sapèques, des fruits, divers animaux divins mais aussi des Immortels ailés Ils étaient donc rattachés, dès avant notre ère, à l’immortalité.
Par ailleurs ce sont les fruits (les pêches notamment) ou les feuilles d’arbres gigantesques, poussant dans les paradis des Immortels, qui confèrent l’immortalité à ceux qui en consomment.
Dans la Chine ancienne, le culte de l'arbre est largement répandu.
Les temples et tombes sont placés auprès d’arbres ; les autels à divinités sont souvent installés dans les racines ou dans le tronc d’arbres. Les habitants refusaient de couper certains végétaux à proximité. En effet, pour ces croyants, l'âme des dieux résidait dans des arbres remarquables par leur taille et leur beauté. En arracher un faisait craindre une mort soudaine.
Aujourd'hui encore certains arbres ont une signification particulière en raison de leur longévité, de leur capacité à nourrir la vie dans leurs frondaisons, ou de leur aspect esthétique.
En témoigne notamment l'engouement des chinois pour les jardins et les parcs. Façonnés pour représenter un monde idéal miniaturisé, ces jardins privilégient les plantes et les arbres que l'histoire et la tradition ont chargés de symboles. Des centaines de variétés de plantes vivaces, aquatiques, grimpantes, d'arbustes et d'arbres y sont représentées. La plupart des plantes et arbres des jardins revêt une dimension symbolique, différente pour chaque espèce. Le pin toujours vert, quelle que soit la saison, est considéré par les Chinois comme un emblème de longévité et de sagesse. On dit de sa sève qu'elle se change en ambre dès lors que le pin atteint ses mille ans !
Avec ses nombreuse variétés, le bambou, répandu dans toute la Chine, est associé à la force et à l'éthique, il plie mais ne rompt pas. Comme il pousse massivement, il est aussi devenu un symbole de fertilité.
Le pêcher tient aussi une place importante dans les superstitions. Il est le symbole du mariage, du printemps et de l'immortalité. La légende raconte que le Pêcher des Dieux fleurit tous les 3 000 ans mais que son fruit apporte la vie éternelle. Un couple qui s'enlace devant un pêcher et c'est l'assurance d'une vie longue et heureuse !
Le pêcher luxuriant (桃夭), extrait du Classique des vers (詩經), pour féliciter les nouveaux mariés: « Le pêcher est si vert et luxuriant, et ses fleurs sont en pleine floraison. Cette fille rendra la famille heureuse et harmonieuse lorsqu’elle sera mariée ».
Dans l’Antiquité, le pêcher également vénéré comme « arbre des immortels », éloignait les mauvais esprits.
Ainsi, dans de nombreux romans classiques, comme l’Investiture des dieux (封神演義), le maître taoïste Yun Zhongzi (雲中子) utilise une épée en bois de pêcher pour supprimer Daji (妲己), l’esprit d’un renard qui a occupé le corps d’une concubine de l’empereur et le faire apparaître sous sa forme originelle de renard.
Le Classique des Rites (礼经) rapporte également que le bâton et le balai en bois de pêcher peuvent éloigner la malchance. Le Zuo Zhuan (左傳) rapporte que le bois de pêcher était utilisé pour fabriquer des arcs destinés à éloigner les catastrophes et à éviter les malheurs.
Bien d'autres espèces d'arbres mais aussi de plantes incarnent diverses vertus : le prunier est associé à la noblesse, le lotus à la pureté, le magnolia à la richesse et la pivoine à la beauté féminine. Le rosier sauvage, par nature tourmenté, entraîne des dissensions au sein d'une même famille.
À l’opposé de l’idée que l’on se fait du bel arbre élancé en Occident, les arbres dans les jardins chinois ou dans les peintures doivent être de préférence tourmentés et étranges.
L'arbre et le lettré
L’arbre est partout présent pour le lettré, il est une figure essentielle dans la peinture, la calligraphie et la poésie chinoise.
Les manuels de peinture chinoise consacrent à l’arbre, en tant qu’élément essentiel, des rubriques spécifiques comme le "Manuel du jardin grand comme un grain de moutarde 芥子园画传 Jièzǐyuán huàzhuàn écrit en1679 au début de la dynastie Qing.
Tous les arbres n’ont pas le même statut au sein de la tradition picturale chinoise :le prunus, le bambou considéré par les Chinois comme un arbre et non comme une graminée et le pin, appelés « les trois amis du froid » donnent naissance à un genre pictural particulier.
Le peintre - calligraphe privilégie les troncs torturés, ridés, tordus, secs, qui rappellent la forme de l’écriture cursive chinoise. L'intention picturale chinoise est d'exprimer le « naturel », c’est-à-dire le dynamisme spontané de tout être vivant dans le prolongement du mouvement perpétuel de l’univers. L’arbre noueux et tortueux représente la capacité à concentrer l’énergie : la torsion allonge le parcours de la sève et l’arbre accumule alors de l’énergie.
Propos sur le genévrier de Chine
"Il s'élève en se tordant sur lui-même vers les cinq nuages propices; Ses feuilles serrées qui dansent forment une masse verte arrondie. Son bois affirme être aussi vieux que le monde.
Il est assez robuste pour ne craindre ni la neige, ni le givre, ni le froid. Il cache les passereaux blancs qui gîtent au bord des nuages. Il dissimule les mouvements des dragons célestes lovés sous la lune. Il s'harmonise avec les montagnes et les rivières dans la brume et le brouillard.
De ma place, je contemple l'automne, proche en pensée du cénacle des poètes."
Zhou Xian zu
extrait "Le studio des dix Bambous" éd Skira
Rééquilibrer son Qì 气 grâce aux arbres.
Ancrés au sol par leurs racines et s'élevant vers le ciel, les arbres permettent un échange d'énergie entre ciel et terre, entre l'être humain et son environnement.
Tout comme l’homme, l'arbre est composé des cinq énergies qui régissent l’univers – bois, feu, terre, métal, eau – et composent le Qi, l’énergie de la vie elle-même.
Dans le Yijing 易经 il est écrit "Les feuilles de l'arbre commencent à pousser, c'est l'action de la cause initiale (Bois). Les fleurs s'ouvrent c'est la liberté d'expansion (Feu). Les fruits se forment c'est le bien (Terre). Ces fruits se développent et mûrissent c'est la perfection".
Même s’il est précieux et honoré, l’arbre n’est pas épargné et fut très tôt exploité dans la construction. Ce choix du bois plutôt que de la pierre a conduit les Chinois à détruire très tôt leurs forêts.
Ainsi Mencius 孟子 (~ 380-289 avant J.-C.) se désolait déjà
" Les arbres de la montagne aux Buffles étaient jadis magnifiques. Mais situés en bordure d’un grand État, ils sont constamment abattus à coups de haches et de coins. Comment pourraient ils rester splendides ? […] Constatant qu’elle est pelée à présent, les gens croient que la montagne n’a jamais connu d’arbres. Mais comment cela pourrait-il être la nature d’une montagne ? "(Mencius, VI.A. 8)
Il est intéressant de noter que la composition d’une structure architecturale chinoise, assemblée en modules combinables par éléments, fonctionne de façon analogique à celle de l’agencement des caractères d’écriture, par traits – les poutres de bois – et par éléments – les modules.
Tracer un arbre
Le caractère chinois est composé comme un arbre. La langue chinoise classique se compose de 214 caractères fondamentaux dits "radicaux" ou racines. On distingue dans ces sinogrammes, la racine (base du caractère), le tronc (partie principale et verticale du caractère), les branches (parties secondaires du caractère horizontales ou obliques).
En acupuncture, certains points sont nommés "troncs ", d'autres "racines " ou "brindilles".
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